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Trois regards...

 

- Pour elle :


Une jeune dame vivait très simplement dans un petit village  des plus vétustes, à l'orée d'une forêt.
Chaque jour, elle s'en approchait un peu plus et se sentait, inexplicablement, attirée par elle, sombre et froide.
Étaient-ce les cris du loup argenté dont elle ne voyait que les yeux étinceler les soirs de lune au cœur des buissons ?
Ou sa flore épaisse et riche des diverses variétés de baies et de plantes probablement plus savoureuses que les pommes de son verger ?
Ou encore la fraîcheur que procurait l'ombrage des arbres hauts et robustes, gardiens des lieux ?
Elle n'aurait su le dire, mais chaque soir, par la fenêtre de sa chambre, elle observait cette forêt dont l'appel se faisait de plus en plus intense.
Un matin de cueillette, elle alla retrouver les autres dames, de tout âge, du village. Les jeunes, plus agiles, grimpaient dans les arbres. Les plus âgées restaient assises et lavaient les récoltes, les équeutaient, pour les préparer à la stérilisation, en prévision d'un hiver qu'on annonçait rude.
La jeune femme décida de s'épancher, elle avait prit une décision la nuit dernière et désirait traverser la forêt. Les réactions furent vives : les plus jeunes se tenaient les joues a deux mains comme si elle venait de leur annoncer la prochaine invasion de sauterelles, d'autres l'en dissuadèrent " Pourquoi irais-tu prendre des risques ? Tu es confortablement installée, ta vie est bien rodée, tu ne manques de rien…" .
Si, justement, se disait-elle intérieurement...
D'autres encore lui firent part de leurs témoignages, de leur vaines tentatives. Elles s'étaient enlisées, étaient tombées, avaient eu peur des craquements de brindilles, bruits d'elles ne savaient trop quelles bêtes sauvages qui avaient investi les lieux.
Alors l'innocente, renonça. Les anciennes n'avaient pas tort, elle était bien… ou presque.
Les premiers soirs, elle se força à ne plus s'installer sur le rebord de sa fenêtre. Elle tentait d'ignorer l'obscur mystère qui se cachait derrière les fourrés.
Son sommeil en fut troublé, se mettant à rêver de cette forêt tant et si bien qu'elle en sentait les odeurs, qu'elle en ressentait la chaleur moite après une chaude journée et quand la pluie était venue soulager les sous bois de ses larmes salvatrices.

Une nuit, dans ses songes, la jeune dame fit une rencontre. Elle discernait, au loin, des yeux d'or… et elle ne les connaissait que trop bien.
Le regard était doux, calme, attentif . Un pas, puis un autre elle s'avança lentement… Il fit de même et, bientôt, ils se trouvèrent face à face.
Leurs regards était liés… Incapable de détourner les yeux, elle avança sa main vers la gueule du loup, mue par une pulsion douce et grandissante.
Il ne bougea pas, son regard lui disait " N'aie pas peur, je suis là pour toi ". Elle frôla son museau du bout des doigts et l'instant d'après, il disparut.

Les jours se succédaient, monotones, classiques, plats et routiniers.
La jeune dame se traînait de plus en plus, ses épaules lui semblaient être devenues de plomb. La seule chose qui lui permettait de traverser ses journées sans fin, était la perspective de retrouver sa chère forêt , et son habitant si particulier lorsque le sommeil la gagnerait.

Une nuit sans sommeil, elle se leva d'un bond, frustrée de ne pouvoir aller retrouver sa clairière paisible et son loup d'argent.
Elle descendit les marches grinçantes de sa petite maison et traversa le pré qui la séparait de la forêt. Elle y entra, pieds nus, vêtue d'une simple chemise de nuit en voile blanc et là, à l'instant précis où la plante de ses pieds rencontra le sol chaud de ce lieu qui lui était si intimidant, qu'elle se sentit vivante pour la première fois...
C'est ainsi que, chaque nuit, elle y retourna.
Ils s'étaient toisés, il l'avait sentie, elle lui avait tendu ses mains, lui avait sourit, il l'avait regardée, tantôt prudent, tantôt sur la réserve, tantôt doux, puis tendre, mais toujours avec bienveillance.
Ils s'étaient rapprochés et apprivoisés l'un l'autre. Bon nombre de fois, il s'allongeait sur le flanc sur un tapis de mousse et elle venait se lover entre ses pattes, en se mettant en chien de fusil. Elle collait son dos contre son ventre et perdait ses doigts fins dans la fourrure épaisse de son cou, le caressant lentement jusqu'à ce que le sommeil l'emporte tandis que lui posait sa gueule sur sa tête et veillait sur son sommeil, resserrant son étreinte sur elle lorsqu'elle frissonnait… 

 

 -Pour lui :

Il avait commencé par être agacé de ses mouvements incessants.
Vive, remuante, bruyante, ses courses semblaient dépourvues de toute logique, de toute finalité. Elle faisait, par ses babillements et ses cris joyeux, fuir la viande loin de là.
Oui ... Il avait, depuis longtemps, remarqué que les proies ne sortaient pas du bois, les humains représentant un danger trop important.
Alors, il avait pris pour habitude de les guider, dans la poursuite, vers la lisière et, là, elles devaient se faufiler dans les buissons épineux, un atout indéniable.
Mais, depuis que cette donzelle s'était mise à gambader non loin du bois, il ne pouvait plus user de ce stratagème et il en était agacé.
A mesure des printemps qui s'écoulaient, elle devint plus sage, plus paisible et il en fut rasséréné. Elle marchait, souvent, sans réel but, mais, la plupart du temps, elle faisait comme les autres humains, des choses incohérentes et laborieuses.
Parfois, il lui semblait qu'elle parvenait à le voir et il en était étonné.
Lui qui, ombre parmi les ombres, parvenait à rester invisible aux autres humains, était dévoilé par quelques sens étranges qu'elle possédait. Même de par delà la fenêtre, elle parvenait, parfois, à détecter sa présence...
Elle fit des intrusions dans les bois, il mit longtemps à accepter de se montrer.
Elle se montra d'une patience aussi intense que le chaos qui l'habitait petite et il fut déstabilisé, souvent, en la regardant.
Alors, il en parla à son Maître.
Celui-ci l'accompagna, un soir, et plus ombre qu'une ombre, Il l'observa avec lui.
De quelques gestes et de Son regard précis et intense, Il lui avait intimé l'ordre d'aller vers elle, il s'y plia.
Elle était apaisante, alors il la laissa le toucher.
Elle était fragile, alors il l'a protégea dans son sommeil.
Et, un jour, son Maître prit une décision. Puisqu'elle savait parler au loup, il fallait qu'elle rencontre son Maître, son alter-ego humain.
Un soir, donc, alors qu'elle se préparait à passer une nouvelle nuit dans la chaleur de sa fourrure, il se leva et, délicatement, il lui prit la main entre ses mâchoires puissantes, sans pour autant la blesser en rien.
Comprenant l'invitation, elle l'avait suivi.
Durant des heures, il dut faire preuve de patience. La demoiselle était bien gauche au milieu des bois profonds.
Enfin, arrivant dans la clairière, face à l'immense demeure que son Maître habitait, il put la laisser poursuivre, elle semblait attirée.

 

- Pour Lui :
 

Du perron Il les regarde avancer, à pas lents.
Lui toujours majestueux, attentif et concentré, elle tentant de trouver son pas dans les branches mortes et les fourrés.
Oui, elle est belle… Ses formes parviennent à éveiller des désirs qu'Il pensait avoir, depuis longtemps, éteints.
Mais... Plus que ses formes enivrantes, c'est son regard et son sourire paisible et doux qui font fondre Sa réserve.
Là, dans Son costume, qu'Il rechigne, pourtant, à porter, Il patiente, souriant quand leurs regards se croisent.
Sa bouche s'ouvre, elle s'arrête et, comme privée d'air, elle oscille vers Lui.
Lui est captivé par la féminité de chacun de ses gestes, par la douceur de sa beauté révélée.

 

Monsieur Dewoitine.

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